Les pulsions du Teen’Art
S’il fallait qualifier les pulsions de l’esprit juvénile, qui nourrissent le Teen’Art ou « art adolescent », on pourrait utiliser les mots urgence et intensité et penser à propos de l’artiste qu’il est moitié sauvage, moitié gamin. Cela serait suffisant pour comprendre que cet art-là n’a pas grand chose à voir avec l’art adulte.
Mais ces pulsions s’éteignent avec l’entrée dans l’âge adulte, celui de la raison dit-on, celui surtout de la vie professionnelle et des conventions. On n’écrit pas à 15 ans comme à trente, on ne peint ou ne dessine pas non plus de la même manière.

Bruce Weber, photo (fév. 19992) pour la couverture d’« Interview » n°2. Stylisme Joe McKenna. Sourcing image : « The Fourth Sex » édité par Francesco Bonami et Raf Simons (2003). Bibliothèque Vert et Plume
Aller sur le site d’Interview magazine : http://www.interviewmagazine.com
Bien que le Teen’Art ou « Art Juvénile » soit éphémère, il a une influence considérable sur la société de consommation à laquelle nous appartenons tous à des degrés divers. Il détermine les tendances en matière de mode, de musique, de danse, d’électronique et influence par voie de conséquence beaucoup d’autres champs d’activité économique. Il exerce un pouvoir d’attraction sur l’ensemble de la population, les plus jeunes qui le copient et les plus âgés qui s’en inspirent. Parce qu’il le sait et qu’il veut plaire, le Teen’Art est aussi un art sous influence. En dépit des apparences, ce n’est pas un art aussi libre qu’il y paraît. Imité, copié, récupéré, il fait vendre, c’est un acteur du jeu économique, il doit obéir aux règles.

« KLAXONS », groupe anglais (hiver 2006-2007). Jamie 23 ans, James 23 ans, Simon 24 ans.Interview pour le magazine « Crash »
Groupe considéré alors comme le créateur du mouvement « Nu Rave ». Couleurs éclatantes et son techno.
Le Teen’Art, n’a pas franchement conscience de sa spécificité parce qu’il a déjà du mal, comme bon nombre d’ados à s’accepter comme tel. Quand enfin il l’a intégrée, il est trop tard, il s’est fait rattrapé par la vie. La place est prise par d’autres, la nouvelle génération qui va à son tour bouleverser le monde.
L’indolente langueur du mouvement

Barry McGee « La vie sur Mars », installation (détail). Xè Biennale de Lyon, 2009. Photo Vert et Plume
CAY et JUNIOR sont les pseudos de deux graffeurs interrogés par Norman Mailer pour son livre « The Faith of Graffiti » publié en 1974 .
Lire : La charge subversive des graffiti fait recette.
Cela fait presque un demi-siècle que la majorité de la population en Amérique du nord et en Europe vit dans les villes, que des ados rêveurs, rageurs ou vengeurs écrivent leur nom sur les murs plutôt que de le tailler sur l’écorce d’un arbre ou le pupitre d’une salle de classe comme le faisaient les générations précédentes qui vivaient à la campagne. Écrire son nom, sa signature, décider de la forme qu’on va lui donner est le propre de l’adolescence, comme les premières aventures amoureuses, les boutons sur la figure et les airs de caïd.

Jon Naar, photo pour « The Faith of Graffiti », 1974 (nouvelle édition en 2009 par la galerie Agnès.b)
EXTRAIT DU LIVRE « THE FAITH OF GRAFFITI »
« CAY est heureux maintenant, il est chez JUNIOR 161, son meilleur ami. Pendant des années ils sont allés ensemble écrire sur les murs, tous les deux très grands, une légende jumelle – lorsque l’on monte sur les épaules de l’autre, on peut écrire son nom sur le mur plus ahut que n’importe qui. Lien véritable de l’amitié, chacun écrit le nom de l’autre, dans un échange sacramentel. JUNIOR a le corps mince et cette indolente langueur de mouvement du ghetto qui parle de la présence. (…) Il est bien habillé, dans le style ghetto – un pullover à col roulé blanc, un pantaloon blanc, un feutre blanc, rien d’autre. Il faut croiser le regard du spectateur avec de la classe. (…) Le plus grand chef-d’œuvre de JUNIOR est dans le tunnel où les rails sont en pente. Là très haut sur le mur, on lit JUNIOR 161 en lettres d’un mètre quatre-vingts. « On a toujours envie d’aller mettre son nom dans un endroit où les gens se demandent comment vous avez fait, comment vous avez réussi à aller l’écrire là. Il faut que ça les fasse réfléchir. »
Norman Mailer.
Regarde-moi

« Culo », tag (oct.2009). Mur à Lausanne, à la sortie de la Fondation de l’Hermitage. Photo Vert et Plume, 2009
Culot de s’afficher sans être passé par un musée.
Le Teen’Art est l’art de l’improvisation. Il nous tombe dessus à par hasard, par surprise, comme un clin d’œil… ou un coup de poing. Ainsi ce jour-là en Suisse au sortir d’une expo symbolique de l’art bourgeois, consacrée aux grands maîtres de la peinture moderne.
Comme si l’on quittait une église où venait de se célébrer un culte ancien et que l’on apercevait soudain, en sortant dans la lumière, l’image de la liberté taguée sur le mur d’en face !
Ce que peut le corps

Larry Clark « Kids », image du film (1995). Sourcing image: Artpress, avril 2007 (bibliothèque Vert et Plume)
« Tout est vrai dans ce film et j’en ai été témoin pour l’essentiel. »
Larry Clark, interview Artpress (n° d’avril 2007).
Le film met en scène des ados d’un quartier de New-York, garçons et filles, étonnamment libres et autonomes. Les parents sont invisibles / absents, réalité ou symbole d’un âge qui revendique son indépendance ? Style skateboard, bien qu’il n’y ait pratiquement pas de skate dans le film, surtout du désir et du sexe, sans fard. Quant à la beauté, elle appartient à cet âge de la vie, qui souvent l’ignore et parfois la rejette. Une beauté fragile, menacée par l’usage inconsidéré de l’alcool ou de la drogue.
La pratique du skate est indissociable d’une allure nonchalante, une façon de marcher comme si de rien n’était, de s’habiller, de parler, d’avoir l’air d’être sur une autre planète bien que l’on se déplace en ville au milieu des piétons dans le bruit de la circulation. Inconcevable de faire du skate ailleurs que sur le macadam et le béton.

Arthur Tress "Wounded skateboarder / Skateur blessé", photographie (date n.c. - vers 1995). Sourcing image: internet
Le grincement des roulettes accompagne le déplacement du skateur, et le claquement de la planche quand il saute un obstacle.
Le corps d’une insolente jeunesse offert à la convoitise des badauds, ceux qui l’ont depuis longtemps perdue ou n’en ont jamais eue.
J’ai eu 16 ans

Bernard Buffet, dessin pour « TOXIQUE ». Texte de Françoise Sagan, éditions Julliard (1964). Ecrit au cours d'une cure de désintoxication
Le retour des anges
La jeunesse est repoussée vers un âge de plus en plus précoce, celui de la prime adolescence. 13 ans = thirteen, le premier -TEEN.
Nous ne sommes plus dans la rupture ni la révolte mais dans l’innocence et la fraîcheur de la découverte qui deviennent les nouveaux atouts d’un Teen’Art plébiscité par les filles.

Bernard Faucon "Tartitius", 1979. Sourcing image : "Les Grandes Vacances" - Editions Herscher, 1980 (bibliothèque Vert et Plume)
Two lads, that thought there was no more behind,
But such a day tomorrow as today,
And to be boy eternal.”
Shakespeare, Conte d’hiver
(cite par Tony Duvert en exergue de « Quand mourut Jonathan » Editions de Minuit, 1978)
Teen spirit

« Dazed Confused » mensuel anglais (mode, culture, art et tendances). Extrait de l’article ; « Tne story of Wizard Rock », 2009.
Où il est question de nouvelle musique inspirée de Harry Potter, de littérature enfantine et de sous-culture rock, ou culture d’en-dessous, selon la traduction retenue pour l’anglais « subculture ».
Aller sur le site de Dazed Confused : http://www.dazeddigital.com/Default.aspx
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